3.9.08

L’héritage de Oscar Peterson
BATTRE LA DISCRIMINATION, AGIR DANS LA DIGNITÉ POUR VIVRE LA DIVERSITÉ

C'est à son domicile de Mississauga, banlieue de Toronto, qu'Oscar Emmanuel Peterson est mort, dimanche 23 décembre2007, des suites de complications rénales, à l'âge de 82 ans. Il est une figure de l’art, pianiste exceptionnel, mais aussi un personnage public et une authentique légende sociale et politique, car très présent, pour longtemps, dans la pensée commune et l’imaginaire collectif.

Oscar Peterson a atteint en jazz une virtuosité dans l’expression et une maîtrise technique complexes, presque spirituelles, si rares, que la direction du Festival international de Jazz de Montréal, l’a choisi comme parrain et a instauré un prix qui porte son nom. Le pianiste virtuose et compositeur doué était un adepte de la perfection mise au service du jazz. Sa fécondité artistique, associée au développement de la musique, s’est matérialisée par les nombreux disques qu’il a conçus, permettant ainsi à un large public de le connaître et de l’apprécier depuis le début des années 1950.

Il cumulait des vertus rares, comme humain, comme intellectuel et comme artiste engagé. Monsieur Peterson était jaloux de sa dignité. Il fut, tout au long de sa carrière un passeur/médiateur de cette dignité portée auprès des siens d’abord, mais aussi présente dans ses rapports avec les institutions ainsi qu’avec les individus. Oscar E. Peterson compte, avec le pianiste Oliver Jones, Montréalais (nés tous deux dans le quartier Saint-Henri, proche de la Petite Bourgogne dans le Sud-ouest de Montréal), plus jeune, parmi les plus grands musiciens de jazz d'origine canadienne. L’homme, Oscar Peterson, pianiste, compositeur, chanteur et organiste, son nom peut ne pas l’afficher, Africain-Canadien, a construit une vie, une œuvre et a développé une influence qui transcendent, chez nous au Québec en particulier, la langue, la religion, la couleur de la peau et même le climat.

De la même manière que certains de ses compatriotes, que ses proches, que ses amis, que certains d’entre nous aussi, il a subi avec violence et avec amertume, la discrimination. Il a connu dans les années 60 et 70 et il a compris, il a réagit et il a agit, avec encore plus d’énergie pour la combattre et la vaincre par plus de travail et par plus d’ouverture d’esprit; la discrimination marquée par l’injustice, la discrimination marquée par l’humiliation et la discrimination exprimée avec l’arrogance souvent grossière et condescendante d’une société où elle fut et demeure, à certains égards, systémique et inscrite dans les pratiques tant sociales, légales qu’administratives. Il s’agit bien de notre société Montréalaise et de notre contexte Québécois.

Modèle vivant, source de fierté et d’inspiration pour de nombreuses générations de jeunes Noirs, mais aussi pour nous tous Montréalaises et Montréalais, tous uniques que nous sommes, Oscar Peterson a prêché avec humilité, par l’exemple. Un exemple qui met en lumière, au-delà du talent et des habiletés remarquables, la valeur du travail, la conscience professionnelle totale, une éthique de la franchise qui n’a d’égale que son refus constant de faire des compromis sur ses convictions, son sens et son engagement pour la justice, pour l’équité et le mérite. Il a aidé les meilleurs à faire mieux, les plus démunis à vivre dans une dignité plus grande et une fierté assumée, les autres, à apprécier d’abord les qualités humaines, la noblesse et l’immense potentiel que les artistes ou les personnalités issus de la diversité, surtout celles qui appartiennent comme lui au milieu des arts, au cercles de la culture et des médias, portent et cultivent pour le bénéfice de toute notre société.

Quand on considère qu’en 2008, les citoyennes et les citoyens issus dits « visibles » qui représentent près de 15% des personnes « actives » de la région métropolitaine de Montréal, sont celles qui ont le pourcentage le plus élevé de diplômés de niveau universitaire, sont aussi parmi celles qui sont sous-représentées au sein de la fonction publique municipale, celles qui sont les victimes désignées de l’exclusion et aussi celles qui sont particulièrement ciblées les premières dans l’exercice des coupes budgétaires effectué en novembre dernier pour confectionner le budget 2008. Cet état de fait, distinctivement Montréalais, contredit honteusement le palmarès superbe du géant de la musique que nous venons de perdre, un homme qui s’est battu toute sa vie pour plus de dignité humaine, plus de justice et d’équité dans nos systèmes administratifs et politiques et pour une véritable mise en valeur de la diversité dont nous sommes riches.

Yves ALAVO

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