20.4.10

Un professeur dirigera la réforme constitutionnelle du Niger

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Des femmes dans une maison de Niamey préparent un festin à l’occasion de la journée du mouton. (Photo: Stéphanie Bachand)

Des femmes dans une maison de Niamey préparent un festin à l’occasion de la journée du mouton. (Photo: Stéphanie Bachand)

Mamoudou Gazibo, professeur au Département de science politique de l'Université de Montréal depuis 10 ans, s'est envolé pour le Niger, son pays natal, il y a quelques jours afin de présider le comité qui rédigera la nouvelle constitution du pays.

«C'est exaltant, résumait-il la semaine dernière. Tout juriste ou politologue rêve de cela, car une constitution, c'est le document fondateur et historique par excellence d'une nation.»

M. Gazibo, qui est un expert des institutions politiques et de la démocratisation de l'Afrique, a toujours suivi de très près ce qui se passait au Niger. Mais, depuis un an, son intérêt s'est mué en engagement: pas question pour lui de rester silencieux devant l'attaque frontale que subissait la fragile démocratie de son pays. Les évènements? À l'été 2009, le président, démocratiquement élu deux fois, annonce son intention de modifier la Constitution pour prolonger son second mandat de trois ans et ensuite se porter candidat une troisième fois.

Mamoudou Gazibo

Mamoudou Gazibo

«Mon départ pour le Niger est l'aboutissement d'un engagement que je partage depuis un an avec mes collègues du Département de science politique, qui m'ont énormément soutenu», signale-t-il. Ce n'est pas tous les jours en effet qu'un politologue a la chance d'exercer une influence aussi directe sur la vie politique d'un État.

Au cours des derniers mois, M. Gazibo a publié plusieurs textes dans des journaux et sur des sites Internet pour dénoncer l'abus de pouvoir de l'ex-président et démontrer à quel point la concrétisation de ses intentions ferait reculer le pays. Les propos de M. Gazibo ont nourri les protestations des partis politiques et de syndicats vivement opposés aux changements pressentis. Ces protestations ont d'ailleurs conduit les militaires à prendre temporairement le pouvoir en nommant un gouvernement de transition et divers comités et conseils provisoires, dont celui chargé de rédiger une nouvelle constitution.

M. Gazibo préside le groupe de 19 experts qui dispose de deux mois pour libeller les textes (ces experts ne sont pas des politiciens, précise-t-il).

Malgré ce délai très court, le professeur souhaite consulter la population. Il rêve d'une constitution dans laquelle se reconnaitraient les citoyens du Niger. Le groupe ne part pas de zéro puisqu'une constitution existait depuis 1999 (celle que l'ancien président a abolie dans l'espoir de demeurer au pouvoir), mais il s'agit d'en rédiger une qui soit plus solide, plus proche de la culture et des valeurs de la société nigérienne tout en étant orientée vers l'avenir.

«Nous avons l'habitude de voir en Afrique des constitutions parfois totalement importées et rédigées dans des mots hermétiques qui ne font pas sens et ne sont pas compris par la population», indique Mamoudou Gazibo.

M. Gazibo veut notamment accorder une attention particulière au langage utilisé afin que les Nigériens puissent s'y retrouver. «Il faut “sortir des sentiers battus et des carcans juridiques convenus”.»

Le Niger fait le pont entre l’Afrique noire et l’Afrique du Nord.

Le Niger fait le pont entre l’Afrique noire et l’Afrique du Nord.

Sans nécessairement tout rejeter des documents existants, et tout en soulignant le besoin d'innover, le professeur ne voit pas pourquoi, lorsque cela est en phase avec les valeurs démocratiques, certains aspects du droit coutumier tel qu'il se pratique dans les villages du Niger ne trouveraient pas leur place dans la nouvelle constitution, qui serait d'autant plus légitime.

Territoire désertique et pont entre l'Afrique du Nord et l'Afrique noire, le Niger a obtenu son indépendance en 1960 comme tant d'autres pays. Jusqu'en 1990, presque tous les pays africains nouvellement indépendants ont succombé aux régimes militaires, aux dictatures ou au parti unique. Le Niger n'a pas fait exception, puisqu'il a été sous le joug d'un parti unique jusqu'en 1974. Cette année-là, un coup d'État a porté le lieutenant-colonel Seyni Kountché au pouvoir, qu'il a gardé jusqu'à sa mort, en 1987. Son chef d'état-major, Ali Saïbou, lui a succédé. Ce dernier a entrepris de libéraliser les lois et la vie politique, mais la société civile l'a forcé à aller plus loin en rétablissant le multipartisme, ce qu'il a accepté à la fin de 1990. C'est ainsi qu'en 1993 Mahamane Ousmane est élu démocratiquement, mais les turbulences ne sont pas terminées pour autant. En 1995, des élections législatives obligent le gouvernement à cohabiter avec l'opposition, mais bien vite tout est paralysé. En 1996, le colonel Ibrahim Baré Maïnassara renverse le président et annonce que des élections auront lieu six mois plus tard. Mais il ne tient pas parole et les élections qui le portent au pouvoir auront été truquées.

En avril 1999, Ibrahim Baré Maïnassara est tué dans un putsch. Le major Daouda Malam Wanké prend la tête du pays et promet à son tour des élections rapidement. Celles-ci se tiennent à la fin de 1999 et donnent la victoire à Mamadou Tandja. Ce dernier est réélu en 2004 pour un second et dernier mandat. En aout 2009, Mamadou Tandja, à qui la Constitution ne permettait pas de demander un nouveau mandat, s'accroche. Il tient un référendum pour modifier la Constitution afin de rester au pouvoir. Les protestations sont vives et conduisent au coup d'État du 18 février.

«Un coup d'État est toujours un échec pour les partisans de la démocratie», dit le professeur de science politique. Néanmoins, l'ancien président n'a pas laissé d'autres issues puisqu'il a supprimé tous les contrepouvoirs, entre autres par la dissolution du Parlement et de la Cour constitutionnelle et l'emprisonnement des opposants qui n'ont pas pu s'exiler.

«Pour ce genre de dirigeants, écrit M. Gazibo sur le site nigerdiaspora.net en juin 2009, l'État est un patrimoine privé qu'ils ne conçoivent céder à personne d'autre.»

Ce patrimoine privé, ce sont les richesses du pays que les dirigeants s'approprient pendant que la population n'a pas assez à mange

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